Un souvenir qui renaît grâce à une photo. Lors d’un voyage dans le Tanganyika, à l’est de la RDC, un pasteur me soutient qu’il existe des maladies (choléra, sida, malaria…) jetées comme un sort par un sorcier et qu’il faut d’abord se rentre chez le pasteur pour une séance de prière avant d’aller à l’hôpital. J’explique que le pasteur pourra prier pour le malade et bénir les soins médicaux sur le lit de l’hôpital, car pour le choléra, par exemple, quelques minutes de retard peuvent couter la vie du malade à cause de la déshydratation du corps. Mais difficile de discuter avec celui qui parle au nom de Dieu devant un auditoire dévot. Éternel débat de savoir à qui revient la priorité entre le médecin et le pasteur dans un contexte où la sorcellerie est une croyance très rependue au Katanga et trop des pasteurs surfent là-dessus. Le mot « buloshi », sorcellerie en français, est sur toutes les lèvres en ville de Lubumbashi même.
Lors d’un très long voyage en bord d’une jeep Land Cruiser de Lubumbashi à Kalemie, soit près de mille kilomètres, la deuxième nuit du voyage, nous décidâmes de nous arrêter vers minuit à une barrière où les gardes avaient déjà allumé un grand feu. En ce mois de juin, il fait très froid dans le Katanga. Nous venions de dépasser la journée la cité lacustre de Pweto, au bord du lac Moero. J’interpelle mes amis pour qu’ils commencent par se laver les mains avant de manger, car nous avons traversé une zone ayant été sous l’épidémie de choléra.
C’est alors que Monsieur Ben, que tout le monde appelle affectueusement « Pasteur », comme c’est ainsi qu’il s’est présenté, m’interpelle en me disant que seule la prière sauve. Car il a délivré plus d’une personne sous l’emprise de choléra de la sorcellerie. « Il arrive qu’un sorcier vous jette le sort du choléra. Vous n’aurez même pas le temps d’arriver à l’hôpital et vous serez déjà mort. C’est pourquoi, il faut voir le pasteur avant pour sauver votre âme », nous exhorte-t-il.
Nous sommes près d’une dizaine autour du feu. La plupart sont d’accord avec le point de vue du pasteur et certains argumentent pour le soutenir, en témoignant d’autres maladies que la médecine n’a pas pu guérir et que seule la prière a guérie. Tout simplement, je leur explique, avec ma connaissance générale dans ce domaine, que le choléra est une maladie qui entraine une déshydratation à grande vitesse du corps par la diarrhée. Alors que l’eau, c’est la vie. Une fois le corps vidé d’eau, le patient meurt. Pourtant, il est possible de sauver le malade si on lui administre une solution saline, comme le recommandent plusieurs spots que les ONG œuvrant dans le domaine de la santé diffusent dans les médias. Si on ne sait pas préparer une solution saline, il faut se précipiter dans la structure sanitaire la plus proche pour que le malade soit pris en charge le plus tôt possible.
Argument contre lequel le pasteur rétorque : « Il faut d’abord se rendre auprès du pasteur, car on ne sait jamais, cela peut être un choléra par sorcellerie que seule la prière peut guérir. » J’explique que le temps que prend la prière, surtout que les pasteurs ne sont jamais avares en paroles, peut être fatale pour le malade. Cela ne coute rien au pasteur de venir voir le malade sur son lit d’hôpital où il pourra prier et pour le malade et pour les soins médicaux qui lui sont administrés.
C’est là que le pasteur se plaint de mon incrédulité, car lui, avec sa longue expérience, il a eu à guérir le sida qui a été jeté comme un sort et surtout, plusieurs fois, la malaria. « La malaria d’un sorcier rend fou », ainsi commence-t-il un autre long prêche-explication des miracles de Dieu à travers l’humble serviteur qu’il est. C’est là que je donne ma langue au chat, comprenant à qui j’ai affaire. Car expliquer que la malaria qui rend fou est la malaria cérébrale qui, par mauvais traitement ou accumulation des germes dans le corps, atteint le cerveau, serait d’une totale inutilité. Le pasteur tient bien son auditoire en laisse.
En effet, la sorcellerie est une croyance très populaire dans le Katanga et un sérieux fonds de commerce pour certains hommes de Dieu. Même sans intention méchante, le terme « buloshi », la sorcellerie en français, intervient couramment dans les conversations des Katangais, particulièrement les Lushois.
Hervé Mukulu