« Mon fils quand tu auras trouvé un endroit en ville où pisser, c’est à ce moment-là que tu seras devenu un homme ». De cette parole, Benjamin souvient comme si son père le lui disait maintenant. Pourtant, il y a 9 ans, il n’avait que 15 ans. Plus encore aujourd’hui, le problème des latrines publiques dans la ville de Beni, par exemple, se pose de manière frontale : elles n’existent pas, tout simplement. Ou alors, elles sont très sales, et infréquentables. Et le problème, très politique, a des répercussions très concrètes dans la vie de tous les jours.
Benj a quitté prestement son reportage à cause d’une envie pressante. Arrivé à la rédaction, il n’a même pas eu le temps de nous saluer. Il est passé en flèche vers les toilettes. Une dizaine des minutes plus tard, il revient en marmonnant : « Chaque jour je me rends compte combien mon père avait raison ».
Aujourd’hui, Benj vit cette réalité au quotidien. En tant que journaliste, il fréquente toutes les entreprises. Et parfois, même là, impossible de trouver les moindres toilettes. « Un jour le directeur d’un grand office étatique avait dû nous planter pendant une heure puisqu’il était obligé d’aller faire ses besoins chez lui. Même des entreprises dont les responsables roulent en carrosse n’ont pas d’installations sanitaires », raconte-t-il. Et il ajoute : « Je connais une entreprise privée qui a dû quitter ses locaux laissant quatre mois de bail parce que le propriétaire de l’immeuble refusait de mettre 2000 dollars dans la construction de latrines alors même que cette entreprise payait déjà 650 dollars le mois. »
Oubliez les latrines publiques. Elles sont inexistantes. Et quand il y en a dans des lieux publics comme les marchés ou les écoles, elles sont infréquentables. Personne n’en prend soin ! Si jamais on y va, c’est uniquement parce que l’on est obligé. Il faut même arrêter de respirer le temps de faire ses besoins et puis déguerpir le plus rapidement possible.
Même spectacle dans les universités où l’on ne compte parfois que deux latrines : une pour les femmes et une autre pour les hommes. Le comble ce que ce sont les voisins qui souffrent car non seulement les mauvaises odeurs les gênent jour et nuit, mais en plus, leurs latrines sont sollicitées avec insistance voire salies régulièrement par des intrus.
Garçons de ville
Ça n’étonne donc plus personne de voir en plein jour quelqu’un uriner contre un mur sous les yeux des passants. En réalité, cela arrive à tout le monde.
Seuls les connaisseurs de la ville se débrouillent bien. « Je fréquente toutes les boites de nuits et les bars de la ville. J’y entre tout simplement. Je vais faire mes besoins et je ressors calmement », nous explique ainsi George. Une technique qui fait ses preuves, car les boites de nuit et les bars de luxe sont les seuls endroits qui ont des installations sanitaires propres. D’autres n’hésitent pas à faire usage des latrines des banques où ils entrent comme des clients et ressortent quelques minutes plus tard. Malheureusement, on ne peut le faire tous les jours.
Quand je parle des bars, je ne parle pas des boutiques sur la rue transformées en buvettes. Les clients de ce genre d’endroits, s’ils ont de la chance, ont un sceau dans lequel pisser ; mais pour la plupart, ils pissent dans la rue. Ivres et en pleine nuit, personne ne s’inquiète.
Alors je m’interroge : a-t-on déjà réfléchi à construire des latrines publiques payantes ? Pensons aux bénéfices qu’une telle politique pourrait engendrer grâce, indirectement, à ces besoins physiologiques auxquels nous sommes absolument tous soumis ? Le marché est assuré : payer pour des latrines publiques coûte nettement moins que de payer le taxi aller-retour à la maison, le tout en perdant au moins une bonne demie-heure de temps de travail. Une preuve s’il en fallait qu’investir dans la construction et l’entretien de toilettes publiques est rapidement rentable.
Hervé Mukulu