RDC : Ces produits forestiers médicinaux que les peuples autochtones ont peur de voir disparaître un jour

Jusqu’à aujourd’hui, pour accéder à certains produits, les peuples forestiers de la République Démocratique du Congo ne peuvent se contenter que de la cueillette et du ramassage. Car ils ne sont pas encore cultivables. Pourtant, parmi ces produits forestiers non ligneux (PFNL) », il y a ceux qui ont des vertus thérapeutiques avérées et qui sont menacés de disparition suite au mauvais usage de la forêt. Hervé Mukulu et son équipe s’y sont penchés pour mettre en lumière ces défis de la préservation des trésors de la forêt . Un reportage réalisé avec l’appui de Rainforest Journalism Fund en partenariat avec Pulitzer Center.

Plusieurs produits sur un étalage au marché central de Bunia. On peut voir directement le Murondo (Mondia Witei), le Ngolio (Cola acumnita), le Kadika (Garcinia Kola) © Picard Luhavo

Il s’agit des noix, feuilles, racines, tiges, graines, fruits, écorces,…qui sont consommés crus, cuits, moulus, infusés pour d’une raison.

 Gérôme K, la cinquantaine révolue, nous explique qu’il prend régulièrement le thé en base de noix de cola mélangés à d’autres essences forestières pour une raison majeure.

« C’est très bénéfique pour la santé, ça rend fort le corps surtout en ce temps des maladies», a-t-il affirmé. 

Il est complété par son ami : «  Ça contrôle le pancréas, tout le corps, contrôle le risque de diabète, ça donne aussi de la force. »

Depuis une dizaine d’années, chaque matin, avant de vaquer à leurs occupations quotidiennes, ils viennent consommer une ou deux tasses de ce thé au rond-point Oicha, un endroit éponyme à cette cité, située au Nord de la province du Nord-Kivu, à l’Est de la RD Congo.

Une sorte de  thé faite à base de Ngongolio, Ngbako, ketsu, murondo et autres produits forestiers.  ©Jackson Sivulyamwenge

En province de l’Ituri, Territoire de Mambasa, chefferie de Mambasa, village Tobola dans la localité de Magbalu, à  170 kilomètres au Sud de la ville de Bunia,  nous avons croisé  monsieur Amboko, un pygmée, dont le  travail est la récolte de ces fruits de la forêt. Il explique que certains ont un pouvoir sexuel avéré comme cet arbuste qu’il tient à la main : « Tiba, si vos veines ne se lèvent pas  quand vous êtes avec une femme, mangez les écorces de ça. On coupe et mange les écorces. » Ce qui explique pourquoi ils sont aimés.

Feuilles de Tiba

Par ailleurs, monsieur Alinga Jean-Pierre Teto, un leader Pygmée souligne que ces produits forestiers ont plusieurs vertus.

 « Si vous manquez d’enfants dans votre couple, il y a des plantes que je vous donne et vous concevez. », rassure-t-il. 

 Ceux qui cultivent en forêts  nous font perdre beaucoup de richesses comme ces produits ces multiples produits médicinaux, regrette-t-il.

« Je soigne  aussi les  hémorroïdes, les épileptiques, même les somnambules, les fous. J’ai des plantes que j’utilise pour les immobiliser. Si votre femme accouche par césarienne, on ne va lui donner qu’une huile à enduire sur le bas-ventre et ça ne se répètera plus.  J’ai même une jeune fille que j’ai soignée, ancienne épileptique, qui vient de se marier après sa guérison.  Même chose si vous êtes empoisonné. Je soigne le poison avec mes produits naturels. Je soigne beaucoup des gens dans notre dispensaire des pygmées.», nous confia-t-il dans la Véranda de son quartier dans la cité de Mavivi, à une vingtaine de Km de la ville de Beni.

L’Ingénieur Kikulbi Kase, Chef de travaux à l’Université de Kalemie,  souligne les vertus contraceptives de certaines plantes : « Il y en a ceux que les femmes prennent après une relation sexuelle pour ne pas tomber enceinte ou attraper les IST », nous confie-il dans son bureau.  

Les peuples bantous et les pygmées échangent très peu leurs recettes médicinales traditionnelles. Néanmoins, confrontés à certaines maladies communes comme la malaria et la diarrhée, ces peuples utilisent certaines plantes communes. « Sans partager les recettes, les bantous et les pygmées utilisent principalement les mêmes plantes contre le paludisme et les faiblesses sexuelles. »,  a constaté le Professeur Eric Kasika, ethno-botaniste et enseignant à l’Université Catholique du Graben à Butembo, dans sa thèse de doctorat intitulée « Échange d’expériences d’utilisation des plantes médicinales entre peuples forestiers. Le cas des pygmées et bantous Nande en territoire des Beni et Lubero ».

Jusqu’aujourd’hui, une insuffisance de médecins dans les villages, la pauvreté et l’insécurité poussent les peuples forestiers à recourir plus à la phytothérapie qu’à la médecine moderne, révèle la thèse de doctorat du Professeur Eric Kasika.

Le leader pygmée Alinga Jean-Pierre Teto regrette le fait que les propriétaires de la forêt, les pygmées, ne jouissent plus non plus de leur milieu naturel, la forêt. « Nous n’y avons plus accès depuis le début de la guerre. On se force à aller les chercher même très loin. La première cause de cette rareté est la guerre ; mais aussi la déforestation fait disparaître ces produits. La population coupe les lianes de Mbili, les arbustes de kadika,  de ngongolio,… », déplore-t-il. 

Cantonnés dans les centres urbains dans des camps de refuge, comme à Oïcha,  et sans assistance, ignorant plusieurs métiers urbains, les pygmées sont parfois réduits au vol des produits champêtres des bantous pour survivre. Ce qui crée des tensions énormes et une mauvaise réputation de voleur et paresseux pour les pygmées en milieu urbain. Autrement, les femmes pygmées mendient.

Par ailleurs, le modèle agricole en usage dans les Tanganyika est un sérieux problème : « Le modèle agricole utilisé actuellement, l’agriculture sur brûlis, c’est un mode qui dévaste pas mal d’écosystèmes forestiers. Les espaces occupés par les cultures connaissent des mutations très sévères du point de vue de la biodiversité tant animale que végétale.  Il y a de ces semences qui ne résistent pas au feu. Elles reculent. A  force d’exploiter les sols agricoles, les semences forestières atteindront un certain moment le point d’extinction. Raison pour laquelle, il y a de ces espèces qui ne se font plus voir. » 

Une autre dimension importante est évoquée par le Professeur Alphonse Maindo, directeur de l’ONG Tropenbos RDC. « D’abord, il y a l’action de l’homme sur la faune et la flore. Sur la faune, lorsque nous chassons les gibiers, nous les abattons de manière presque sauvage pour notre alimentation. Nous réduisons, par la même occasion, la possibilité de certaines plantes, y compris les arbres, de se régénérer naturellement. Car certains animaux sauvages (mammifères, oiseaux,…)  sont des agents de dissémination et d’ensemencement de certaines espèces de plantes.   Quand ils disparaissent, ils disparaissent donc avec ces plantes-là. », fait-il remarquer. 

En plus des travaux agricoles, il y a les aménagements routiers et autres infrastructures. « Nous qui sommes nés à Kisangani, on avait des fruits sauvages autour de la ville. On allait cueillir des fruits dans des endroits qui  sont devenus des quartiers.», se remémore-t-il. 

Le peuple forestier vit dans un environnement où tout doit provenir de son écosystème naturel qui est la forêt. Ce qui n’est pas le cas avec la densité des agglomérations, même en forêt.

 « Depuis nos ancêtres qui ont vécu complètement en forêt, il existe beaucoup de produits qui protègent le pygmée. Comme Aduaka, c’est notre manioc sauvage. Mambili, c’est de l’arachide sauvage que l’on ajoutait dans le sombé. Mambili, c’est l’huile dont les femmes se servaient  pour griller de la viande au retour des hommes de la chasse avec le gibier.  Avant une sortie en cité pour venir visiter les frères bantous, après le bain, on s’en servait comme lotion et ça nous rendait très propre. », se rappelle le leader Peto qui se reconnaît déjà civilisé avec un peu de tristesse. 

Par contre, beaucoup de plantes consommées actuellement sont exotiques. Le cas des maniocs, orangers,… qui viennent d’autres continents, alors que nos ancêtres dépendaient des plantes qui poussaient à l’état sauvage. L’arrivée des nouvelles plantes pousse vers la disparition des anciennes plantes,  fait remarquer  le CT Ruffin Mbuse.

Il n’existe pas non plus de mécanisme approprié pour la gestion des fruits sauvages, même si ; « En matière de régulation, le code forestier est la loi qui impulse les directives. Les textes d’application devraient suivre afin de garantir le suivi de tout ce qui est de la pérennisation des filières. L’Etat ne pouvant pas tout faire, les organisations, comme le WWF est une porte d’entrée pour accompagner l’organisation de ces filières porteuses des PFNL », suggère Inoussa Njumboket, point focal forêt WWF-RDC.

Naturellement, tous les fruits n’ont pas la même périodicité en termes de maturation. Il y en a que l’on peut trouver en maturation en pleine saison sèche, et ceux qu’on peut trouver en saison de pluie. 

Néanmoins, il y a une protection indirecte, «  Lorsque nous délivrons les permis de coupe de bois, nous prenons soin de signaler les espèces qui doivent être protégées, dont certains arbres fruitiers. Ne peut être autorisé à couper par exemple le  pafsa, le mabunge, c’est formellement interdit. », éxplique Paul Senga, directeur du service environnement dans la province du Tanganyika.

Le bassin d’un vendeur des fruits dans un bar la nuit. Parmi eux des PFNL aphrodisiaques, antidiabétiques, stimulants pour résister à l’alcool ou à la Guelle de bois  ©Georges Kisando

 Un reportage de Hervé Mukulu réalisé avec l’appui de Rainforest Journalism Fund en partenariat avec Pulitzer Center..  Avec la participation de Picard Luhavo, Serge Sindani, Sarah Mangaza, Furahisha Jacques et Jackson Sivulyamwenge. 

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