Serait-ce la fluctuation des températures qui serait à la base de la carence des sauterelles observée ces dernières années ? Serait-ce plutôt cette sur-cueillette qui entraîne les carences car elles n’ont pas le temps de pondre suffisamment ? Ou est-ce la croissance démographique qui rend insuffisante la quantité cueillie pour ne plus répondre à la demande ?
La cueillette des “misienene” (sauterelles en luyira) est le grand rendez-vous de chaque mois de novembre en ville de Butembo et ses environs. Ces insectes, une fois grillés au feu, souvent sans huile, un peu de sel seulement comme condiment, constituent un menu très prisé par le peuple Nande/Yira. Sa saveur est unique comme l’est aussi celle de la viande de la poule indigène. Consommer les sauterelles aussi bien que la poule indigène était interdit aux femmes dans la société Nande/Yira traditionnelle.
Feu Paluku Vasangavolo dit PAVASA en ethno-sociologue donnait une explication à la radio intelligente il ya quelques années :
« Comme les sauterelles, la viande des poules, les œufs aussi n’étaient pas autorisés aux femmes. C’est parce que la femme est très complice avec ses enfants. Dès que vous autorisez la femme de prendre les sauterelles, elle va donner à son enfant. Celui-ci trouvera que c’est succulent et sera tenté d’en prendre davantage. Il reviendra là où vous avez gardé; il pique et c’est comme ça qu’il devient voleur. Voilà la philosophie autour de ce mythe”, explique l’ethno-sociologue PAVASSA.
Ces insectes n’apparaissent qu’une fois l’année en ville de Butembo, territoire de Lubero et une partie du territoire de Beni en province du Nord-Kivu.
Dans la conception populaire ou traditionnelle, il s’agit d’insectes migrateurs qui viennent de l’Europe chaque année fouillant l’hiver pour se réfugier dans la région chaude de l’Afrique centrale équatoriale.
Le docteur en Sciences de l’Université de Kisangani, Lukwamire Kasika Eric affirme qu’il s’agit des insectes tropicaux qui n’ont rien à voir avec l’Europe.
Les sauterelles sont des insectes tropicaux de l’ordre des orthoptères comprenant les criquets et les sauterelles. Ces derniers ne sont pas des migrateurs.
« Les sauterelles sont des insectes tropicaux qui pondent leurs œufs dans la prairie, dans le sol,… et qui ont un cycle d’une année. Une fois la température idéale atteinte, les œufs éclosent. Ce sont des métaboles c’est-à-dire des insectes qui n’effectuent pas la métamorphose complète. De l’œuf sort un individu qui ressemble directement à l’adulte», explique l’enseignant en faculté des sciences agronomique de l’Université Catholique du Graben.
« La sauterelle ne vit pas en société. Elle est seulement attirée par la lumière. C’est la raison pour laquelle nous les capturons en groupe », soutient l’écologiste.
Comme les sauterelles sont à la recherche de la lumière; dans une région où, la nuit, le noir complet est la norme, de plus en plus des habitants montent des échafaudages constitués des toles et des lampes à forte lumière dites des ‘projecteurs’. Des fortes lumières que les sauterelles peuvent repérer de loin et s’y précipitent. Les tôles sont installées en entonnoir pour que les sauterelles en voulant s’y poser glissent vers le fonds ou elles sont recueillis dans un récipient comme sceau puis mis dans un sac pour qu’elles ne s’envolent plus.
Le piège du piège
Ce qui profile un danger alerte Docteur Kasika : « Pendant que nous les capturons; ils sont, seraient, entre de pondre leurs œufs quelque part dans le pré ou enfoui dans le sol. La multiplication des pièges pourrait faire à ce qu’elles ne pondent suffisamment d’œufs pour assurer le cycle », prévient-il. D’où l’intérêt de contrôler les pièges à sauterelles.
Le professeur Kasika Lukwamire souligne que ces sauterelles n’existent pas en Europe. Dans ce continent froid, il y a plutôt des criquets migrateurs. Tout comme, il existe en RDC, des régions qui ne connaissent pas les sauterelles; il existe aussi dans cette région tropicale, comme en Ouganda, des régions où les sauterelles sont présentes tout le long de l’année.
Ce qui fait croire que l’éclosion des œufs de sauterelles dépend aussi de la température et non pas que d’un cycle annuel.
Questions
Ce qui nous laisse vous poser ces questions : serait-ce la fluctuation des températures dûe aux perturbations atmosphériques de la région, une des possibles conséquences du changement climatique, qui serait à la base de la carence des sauterelles observée ces dernières années ? Serait-ce plutôt cette sur-cueillette qui entraîne les carences car elles n’ont pas le temps de pondre suffisamment ? Ou Est-ce la croissance démographique qui rend insuffisante la quantité cueillie pour ne plus répondre plus à la demande ?
Pour y répondre, nous attendons que des études scientifiques soient menées. En attendant, la quête aux sauterelles fait la fortune des uns et le malheur des autres.
La fortune des uns, le malheur des autres
En 2016, nous avons recueilli des témoignages selon lesquelles certains ont pu créer leurs boutiques, acheter une parcelle,… grâce aux gains de la saison des sauterelles.
En effet, au début de la saison, une mesurette des sauterelles contenant à peine une cinquantaine de sauterelles, peut valoir jusqu’à mille francs congolais. Au milieu de la saison, elle varie entre 500 et 1000 Fc puis recommence à monter jusqu’à disparaître vers mi-décembre.
En environ un mois de travail, certains réalisent plusieurs centaines de dollars de gain. Ce qui peut permettre de commencer un petit commerce en ville de Butembo voir acheter une moto pour devenir motard.
D’autres,par contre, ont pris des crédits auprès de proches pour installer les pièges à sauterelles et se sont retrouvés en prison car n’ayant recueilli suffisamment pour épurer le crédit de quelques centaines de dollars.
La santé
Les sauterelles, chenilles, araignées, guêpes et fourmis sont riches en fer, calcium et en zinc. La FAO appuie : « les insectes sont nutritifs et à la portée de tous, ils peuvent être servis vivants, cuits ou frits et peuvent être utilisés dans tous les plats, de l’entrée au dessert ».
Cueillis la nuit, vendues la journée, plusieurs mettent les sauterelles au menu du soir, remplaçant carrément la soupe, elles sont accompagnées de légumes. Foufou et sauterelles, c’est un repas en mode « Ngwanda », un jargon pour désigner le mode de manger le foufou et grillage sans soupe.
Ainsi, arrivé au soir, les sauterelles peuvent déjà avoir commencé la décomposition. Prendre des sauterelles en décomposition expose à des maux des ventres comme la diarrhée. Manger les pattes des sauterelles expose à des risques d’étranglement comme dit dans ce billet.
Néanmoins, bien conservés, les sauterelles peuvent durer même 6 mois, ce qui donnait une autre dimension mystique au pouvoir du roi dans la tradition nande : “A chaque cueillette, on devait aller donner au chef. Et lui, il garde dans sa cruche pour qu’il mange le plus lentement possible, parce que les sauterelles peuvent faire 3,4,5 ou 6 mois. S’ils sont bien préparés, bien gardés, ils ne pourrissent pas si tôt. Et quand vous prenez les sauterelles en dehors de la saison, vous vous étonnez qu’il en ait dans la cour royale plusieurs mois après la saison. Cela renforce le rôle mystique du chef. On dira, même s’il n’y a pas de saison des sauterelles, vous les trouverez chez le Mwami. Et les bami disaient justement que c’est eux qui autorisent que les sauterelles pleuvent », expliquait PAVASSA d’heureuse mémoire.
Les sauterelles elles-mêmes sont accompagnées des insectes dit “ekonda” qui créent des démangeaisons sur le corps et coûtent pour se faire soigner.
Comme dit un adage, il n’y a pas de rose sans épines.
Hervé Mukulu