Dans l’est de la RDC, notamment autour de la ville de Butembo en province du Nord-Kivu, la forêt naturelle a presque complètement disparu. Mais la région n’est pas devenue pour autant une savane herbeuse : les habitants ont planté massivement l’eucalyptus. Cependant, cet arbre ne présente pas que des avantages, il a aussi ses inconvénients.
La région du Kivu est devenue un paysage où cohabitent l’agriculture, les fermes pastorales et les arbres plantés comme alternative à la forêt naturelle. Ce reboisement semble prendre de l’ampleur sur l’agriculture et l’élevage dans la région.
La particularité de ces forêts artificielles qui entourent nos agglomérations, c’est qu’elles sont dominées par une seule espèce d’arbre : l’eucalyptus. Pour mieux comprendre cette situation, lisez cette investigation appuyée par Pulitzer Center et le Congo Bassin/RainForest Journalism Fund.
Le bois source d’énergie
Difficile de s’en passer, le bois sec ou en charbon, est la principale source d’énergie dans les cuisines congolaises. Une étude menée en 2014 dans la ville de Butembo démontre que 97% de la population en fait usage au quotidien. 52% de la population utilise uniquement le bois de chauffe, 30% uniquement le charbon de bois et 15% font usage de deux.
L’expert en gestion de biodiversité et aménagement forestier durable, MbusaWasukundi Muyisa Sorel a fait cette révélation dans une étude en 2014 : « Les 581 fours recensés durant six mois dans la ville de Butembo ont utilisé un volume de bois estimé à 18 201,97 m3, soit environ 36 400 m3 pour une année. Il s’agit là du volume réel obtenu après correction. »
L’eucalyptus n’est pas natif de la région. Il est originaire d’Australie. Il existe plusieurs espèces d’eucalyptus : environ huit cent selon Wikipedia.
L’eucalyptus fait face à la déforestation
L’expert Mbusa Wasukundi Muyisa Sorel explique le contexte dans lequel cet arbre est entré dans notre région : « Nous sommes dans une région fortement anthropisée. Nous sommes dans les hautes terres. Lorsqu’on s’est rendu compte que la forêt avait presque disparu dans notre région, la population a pris conscience des risques encourus. Elle s’est investie dans la reforestation, malheureusement à base d’eucalyptus. »
La région était couverte par une forêt de montagne qui a presque disparu. Il ne subsiste que quelques bouts de forêt, notamment les réserves de l’Itav, de Kyabirimu et de Kalikuku. C’est ce qu’explique le professeur Mutiviti, expert en sciences du sol et doyen de la faculté des sciences agronomiques de l’Université catholique du Graben. C’est face à ces défis que les eucalyptus sont considérés comme salvateurs, malgré leurs défauts bien connus. Par exemple, ils ont un effet dévastateur sur les cultures vivrières.
L’eucalyptus : une plante solide et qui résiste à tout
Quelques concessionnaires du territoire de Lubero nous ont livré leur première expérience dans la culture de l’eucalyptus. Pascal Bebo, la trentaine, est gestionnaire de la concession de sa famille depuis 6 ans. Elle est située dans les environs du quartier Mulo dans la commune rurale de Lubero. Etalée sur plusieurs hectares, aujourd’hui, la concession est couverte d’eucalyptus depuis 20 ans.
« Après une trentaine d’années d’exploitation agricole, ce sol ne produisait plus comme il faut. C’est pourquoi, il y a 20 ans, mes parents ont décidé d’y planter des arbres », nous confie Pascal Bebo.
Même son de cloche du côté d’autres concessionnaires. Ils ont transformé leurs champs en plantation d’arbres. « J’ai pris cette décision quand j’ai fini par constater que le champ ne produisait plus bien. La production agricole ne suffisait plus à subvenir à mes besoins, ne répondait plus à mes attentes. », explique Kambale Malekani François, un habitant du village de Musenda. Il cultive des arbres sur la colline de Vuhula, et à Kananga toujours dans ce territoire de Lubero au Nord-Kivu.
L’eucalyptus a des atouts. C’est un arbre dont la croissance est rapide. Il couvre rapidement le sol. Ce qui fait que son entretien s’arrête rapidement, en comparaison du quinquina par exemple, explique le professeur Mutiviti.
« L’eucalyptus croit dans des milieux où non seulement il n’y a plus d’engrais, mais aussi où même d’autres arbres refusent de pousser », ajoute Kavira, vendeuse de planches d’eucalyptus depuis quatorze ans.
Plante acide qui n’aime pas la concurrence
L’eucalyptus est une plante acide, avec un effet dévastateur sur les cultures vivrières. Lorsque les feuilles d’eucalyptus tombent, elles acidifient le sol. « L’acidité entraine la matière organique en profondeur et le sol devient alors presque infertile pour les autres cultures », explique le professeur Mutiviti.
Cette réalité est connue des agriculteurs. Les concessionnaires savaient faire la part des choses jusqu’à ce que l’argent s’en mêle. Léopold Kiopolo de Kighumo à Mulo raconte qu’il a commencé à planter l’eucalyptus en 1972. Pour lui, c’est le sol qui indique où planter les arbres : « Nous choisissons là où on peut planter les arbres. C’est surtout dans les endroits où nous constatons que les produits maraichers ne peuvent bien prospérer. L’arbre n’est pas à planter dans le champ des cultures à manger. »
Le grand problème, c’est que cela peut endommager la production du champ du voisin, soulignent les concessionnaires. « Le voisin a planté les arbres, et tous les habitants à côté de lui sont obligés de planter [aussi] les arbres. Il est demandé de planter l’arbre oko luvwe », précise Kasereka Vyambwera Gilbert, un autre concessionnaire qui nous a montré des champs abandonnés sur le flanc droit d’un bosquet d’eucalyptus.
Il y a maintenant une dualité entre le reboisement et l’agriculture autour de la ville de Butembo. Le reboisement est en général favorisé, au détriment de l’agriculture, regrette Sorel Wasukundi.
Mais pourquoi planter l’eucalyptus s’il empêche les autres cultures ?
Tout commence par la mauvaise récolte. « Il arrive que le vassal ne produise pas assez pour payer la redevance au chef terrien. Ce dernier trouve quelqu’un pour planter les Miharamba [une variété d’eucalyptus en langue du peuple Nande, NDLR] sur sa terre et chasse ainsi l’agriculture », explique le paysan Muhindo Seghemera.
Le problème devient d’autant plus réel que même les champs qui sont encore propices à l’agriculture sont transformés en plantations d’eucalyptus. Madame Kavira en a été victime : « Dans la ferme de monsieur Kahasa, je produisais des sacs de maïs, puis j’ai appris qu’il l’avait vendue. Et quand je m’y suis rendue, j’ai trouvé que le nouveau propriétaire y avait déjà planté les arbres, le matoti [une variété d’eucalyptus en langue du peuple Nande, NDLR]. »
Planter des eucalyptus aux environs des agglomérations facilite aussi l’acheminement de leur bois vers le centre de consommation. Car dans ces régions, les routes sont rarement praticables. Cela permet ainsi de diminuer le coût de location des véhicules de transport.
Les défis environnementaux de l’eucalyptus
Par son effet qui acidifie le sol, l’eucalyptus pourrait à la longue conduire à la désertification de nos terres arables. Il a des effets nuisibles sur les propriétés du sol, alerte l’expert en gestion de la biodiversité Sorel Wasukundi.
Comme l’eucalyptus appartient à la même famille botanique, il présente un inconvénient du point de vue de la biodiversité. Il peut causer une certaine érosion génétique des espèces naturelles locales. Enfin, « avec cette même famille botanique, imaginez-vous, si une maladie attaque l’eucalyptus ! Si elle est virulente, une telle maladie risque de décimer tous les eucalyptus de notre région, comme ce qu’on a observé sur les bananiers, notamment le wilt bactérien. Nous serons en plus confrontés à des problèmes d’ordre social et économique », affirme Sorel Wasukundi.
L’eucalyptus est une espèce à même de lutter contre le phénomène d’érosion. On sait que la meilleure protection contre les ravins c’est de couvrir le sol, et l’eucalyptus aide bien à couvrir le sol. « Pour que le sol soit exposé à l’érosion, il faut qu’il soit nu. Or l’eucalyptus, avec son enracinement profond et sa densité, fixe le sol contre cette érosion », explique Mutiviti.
Par ailleurs, la fumée libérée lors de la combustion de la biomasse ligneuse est certainement chargée de polluants gazeux et particulaires qui, d’une part, peuvent entraîner des conséquences néfastes sur la santé et, d’autre part, contribuer au réchauffement global de la planète par l’effet de serre.
Par contre, avec ce même défi du changement climatique, l’eucalyptus, malgré ses défauts, est parmi les espèces qui fixent le carbone. « Quand le crédit carbonne sera effectif, les propriétaires de ces plantations d’eucalyptus vont commencer à toucher beaucoup d’argent. Et le reste des champs agricole risque d’être transformé en plantations d’eucalyptus », craint le professeur Mutiviti.
L’expert en gestion de la biodiversité Sorel Wasukundi pense qu’il faut prendre en considération le fait que les effets d’eucalyptus pourraient être compris dans une échelle de temps donné. Quand on prend une échelle de temps assez courte, de moins de cent ans par exemple, les eucalyptus ont des effets néfastes. Mais si vous observez bien, il peut arriver qu’un champ d’eucalyptus se transforme à la longue en une forêt que l’on dirait naturelle.